A toutes sortes de déregulations
La psychiatrie parle de troubles de l’humeur pour caractériser « les dérèglements de la tendance affective de base de l’état mental susceptibles d’entraîner des altérations du comportement ». La question est de savoir où l’on trace la limite entre le normal et le pathologique. Cette limite est floue, et certains troubles généralisés peuvent fort bien passer inaperçus par manque d’éléments de comparaison.
Le délire est une perte complète du sens de la réalité. Il caractérise les troubles psychopatholotiques avérés, comme les bouffées délirantes, le délire paranoïaque, ou la schizophrénie. Le sujet ne peut alors plus contrôler correctement ses paroles et ses actes, il ne se rend pas compte de l’effet qu’il fait aux autres, ne voit pas les différences de conduite, se met en danger, peut avoir des hallucinations, etc. Ces états ne sont pas difficiles à reconnaître.
Le problème est plus délicat lorsque les troubles sont larvés, modifiant l’humeur (donc l’état affectif et mental) sans perturber ostensiblement la raison. Ils sont encore plus difficiles à mettre en évidence lorsqu’ils sont généralisés dans l’ensemble d’une population. L’impression de normalité peut se maintenir pas suite de l’accoutumance à une réactivité omniprésente, ou à d’autres tendances que l’on observe chez chacun et que l’on éprouve soi-même.
C’est le cas de la névrose endémique : les tendances névrotiques sont généralisées dans notre forme de culture, mais à ce point entrées dans la norme que tout le monde s’étonnait lorsque la psychanalyse arrivait à cette conclusion. On la retrouve derrière le stress, l’agressivité, les phobies, les difficultés de communiquer, le mépris d’autrui, le besoin de juger, de se montrer supérieur, l’arrivisme, le harcèlement, le climat scolaire, et nombre de tracasseries de la vie quotidienne. Ces situations sont si fréquentes qu’on ne les attribue pas à des désordres du fonctionnement psychique issus de causes précises, mais à des traits de caractère ou de personnalité faisant partie des incontournables de la nature humaine.
Bien d’autres constantes de l’état psychique réputé normal peuvent passer inaperçues, être considérées comme participant de la nature humaine, alors qu’elles sont en réalité des désordres comportementaux. C’est le cas des tendances paranoïdes (ce qu’on appelle couramment la « parano ». La notion de culture prométhéenne pourrait bien refléter une altération du Moi, tournant à l’Ego, communément répandue au point d’amener la communauté humaine à s’illusionner sur ses capacités à dominer et exploiter la nature.
On sait également que les tendances schizoïdes sont endémiques. Là aussi, il faut se demander s’il s’agit d’une caractéristique innée du psychisme humain, ou au contraire d’un trouble fonctionnel dû à des causes encore obscures. La schizoïdie consiste à « morceler » la réalité, un peu à la manière d’une personnalité multiple. Un surcroît de cette tendance pourrait expliquer la faculté qu’ont les hommes de nuire et détruire tout en conservant une parfaite bonne conscience.
La définition même d’un désordre psychique implique qu’il résulte d’une cause, venue altérer le comportement naturel. Le pari de l’écogénétique humaine est de mettre au grand jour les facteurs psychiques qui peuvent se cacher derrière les comportements destructeurs de l’environnement, postulant que ces facteurs n’appartiennent pas forcément à la nature humaine, mais proviennent d’un certain nombre de dérégulations susceptibles d’être élucidées.