Ces artéfacts
Nous sommes capables d’inventer toutes sortes d’artéfacts, mais ces artéfacts correspondent-ils aux caractéristiques innées de nos organismes ? Rien ne le garantit.
Noé, par exemple, inventait le vin ; il n’imaginait pas que la consommation d’alcool allait produire des milliers d’années plus tard une multitude de drames familiaux et d’accidents mortels sur les routes. Au XVIe siècle, le docteur Nicot importait le tabac qu’il avait découvert chez les Indiens d’Amérique et recevait une glorieuse récompense du roi de France ; deux siècles plus tard, les cigarettes étaient fabriquées industriellement et faisaient l’objet d’un monopole d’état ; personne ne s’était posé de questions sur les capacités de l’organisme face à la fumée ni sur celles du psychisme face à la nicotine ; la dépendance de milliards d’usagers a généré un nombre incalculable de cancers du poumon.
La conscience de l’existence d’une programmation génétique et des limites d’adaptabilité qu’elle impose aux organismes aurait pu freiner ces inventions, ou du moins l’engouement auquel elles ont donné lieu. Elle aurait permis à leurs futures victimes de mieux comprendre ce qui leur arrivait et de prendre les mesures appropriées sans attendre des générations… Tout comme on ne s’étonne pas de voir un moteur à essence tomber en panne si on met du fuel dans le réservoir : chaque type de moteur est construit pour un carburant donné et s’il y a eu erreur, on sait qu’il faut d’urgence vider le réservoir et retourner au carburant d’origine.
Le même raisonnement est valable pour toute invention passée, présente ou future. Il peut être étendu à tout être vivant, végétal ou animal, confronté aux inventions humaines. Ce sont chaque fois les lois naturelles, résultats de millions d’années d’évolution et d’adaptation génétique des espèces, qui sont transgressées.
Exemple : Pierre et Marie Curie découvrent la radioactivité ; le monde voit aussitôt dans le radium un remède miracle à toutes les maladies ; la titulaire d’un double prix Nobel, gravement irradiée, meurt finalement d’une leucémie ; on ne sait pas ce que sont devenus les patients qui se sont administré l’élixir radioactif à la même époque ; un siècle plus tard, l’industrie de l’atome s’infiltre partout et les risques d’accidents et de guerres nucléaires menacent la planète entière.
Plus récemment, des ingénieurs mal inspirés inventent la pile au mercure ; après quelques générations, on retrouve ce métal hautement toxique chez les poissons de mer, les mammifères marins, et jusque dans le sang des Inuits, au point de compromettre gravement leurs santé en même temps que l’équilibre écologique des océans. C’est là aussi l’inconscience des limites de l’adaptabilité du vivant face à une invention humaine, et l’occultation de ses conséquences possibles, qui sont responsables du désastre.
Le dénominateur commun entre ces différents exemples réside dans l’absence d’interrogation sur les conséquences secondaires d’inventions qui nous fascinent au premier abord. Et cette interrogation passe nécessairement par la question de l’inadaptation génétique à des conditions d’environnement qui n’existaient pas dans la nature première.
Ainsi, pour chaque problème écologique (ou pathologique) auquel nous nous trouvons confrontés, il y a lieu de se demander :
1. s’il est la conséquence d’une invention humaine dépassant les capacités d’adaptation des êtres vivants (du microbe jusqu’à l’être humain).
2. quelles sont les raisons qui ont poussé les hommes à réaliser et à répandre cette invention : s’agissait-il d’un vrai ou d’un faux besoin ?
3. quels sont les mécanismes qui déterminent notre dépendance à cette invention ?
4. pour quelle raison les inventeurs et les usagers de l’invention n’ont pas su prendre en compte ses nuisances, soit sur eux-mêmes soit sur l’environnement.
Ces questions renvoient en dernière analyse au fonctionnement du psychisme humain. Là aussi il faut distinguer entre une partie normale, conforme à la programmation génétique de notre système nerveux, et d’éventuels dysfonctionnements. Ces derniers, même s’ils nous paraissent anodins parce que communément répandus, pourraient être à l’origine des inventions nocives ou de l’engouement-dépendance qu’elles suscitent. La démarche finale consiste alors à chercher et formuler clairement les causes de ces dysfonctionnements. Il devient alors possible de les maîtriser ou de les prévenir.
C’est en remontant à la source première des désordres psychoaffectifs d’où sont issus les désordres écologiques, que nous pourrons corriger durablement les comportements induits par notre forme de civilisation. En d’autres termes : faire évoluer notre culture vers une culture progénétique, conforme à nos potentialités innées et à celles des autres acteurs de l’écosystème planétaire.