Déjà sans doute dans ceux de nos ancêtres
Nous avons tendance à penser que les traits fondamentaux du psychisme humain ont toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. Il y a bien sûr eu de grands progrès, grâce à la culture, mais les caractéristiques de fond n’auraient pas changé, pas plus qu’un crocodile d’aujourd’hui ne serait plus ni moins violent qu’un crocodile du temps des dinosaures. Le mal écologique prendrait ainsi ses racines dans la nature même de l’homme. Il ne ferait que couronner (avec une couronne mortuaire, en l’occurrence…) une lente progression dont les lignes directrices étaient fixées d’avance…
Rien n’est moins sûr : il est au contraire possible que certains éléments qui nous échappent aient altéré le fonctionnement originaire de nos psychismes. L’état psychique dépend de nombreux facteurs environnementaux : paysages (comme le montrait Shepard), éloignement de la nature, alimentation, éducation, constantes culturelles, relations sociales, vie sexuelle, promiscuité, contraintes de toutes sortes.
C’est donc la liste de ces facteurs qui doit être passée en revue de manière aussi exhaustive que possible si l’on ne veut rien manquer au passage. Comme le sait tout mécano, les causes d’une panne sont bien souvent cachées, multiples, et inattendues. Le cas qui nous occupe est de loin plus difficile que celui d’une panne mécanique.
Lorsqu’une machine est en panne, nous le constatons parce que cette machine ne répond pas à nos commandes ou à ses automatismes comme nous l’attendons. Nous l’observons de l’extérieur, à partir de certains critères de normalité, qui nous permettent de constater objectivement les anomalies éventuelles.
Lorsqu’ils s’agit d’anomalies dans nos propres comportements, nous ne pouvons les observer que subjectivement. Nous sommes prisonniers de la machine dont nous devrions détecter la panne. Nous prenons nos tendances pour la normale, parce que nous avons toujours fonctionné de la même manière. Le cas est encore plus difficile si tous les individus que nous pouvons voir autour de nous sont affectés de troubles similaires.
Nous n’avons pas d’autre référentiel de normalité que nous-même et nos semblables, de sorte que nous confondons inévitablement l’inné et l’acquis, la nature et la norme. Et nous rangeons automatiquement les peuples qui affichent d’autres critères dans la catégories des bizarreries de l’ethnologie, plutôt que de faire l’effort de nous remettre sérieusement en question nous-mêmes.
Nous ne pouvons donc exclure que notre fonctionnement psychique d’hommes modernes se soit éloigné de celui de nos ancêtres. Ni que certains traits de ce fonctionnement modifié ne jouent un rôle majeur dans notre mode de vie et ses conséquences écologiques. Cette hypothèse paraît anodine, mais elle change les perspectives de l’écologie profonde en ouvrant des voies jusqu’ici inexplorées.