élucider les causes précises de ces modifications
On s’arrête généralement aux causes immédiates des phénomènes. On attribue par exemple le consumérisme à l’avidité humaine, et l’indifférence pour ses conséquences écologique à l’égoïsme. Et l’on croit avoir tout dit.
Pourtant, il y a lieu de se demander si cette avidité et cet égoïsme apparemment incoercibles, du moins à l’échelle des masses, sont partie intégrante de la nature humaine. Si tel est le cas, on se trouve confronté à un état de fait, à une contradiction interne des lois d’équilibre qui régissent ordinairement les écosystèmes.
L’avidité et l’indifférence aux autres dont témoignent par exemple les grands prédateurs, tigres ou lions, sont compensés du fait de la co-évolution par des performances qu’ont développées leurs proies, de sorte que les populations respectives se maintiennent dans des limites acceptables. Il faut un accident, une intervention humaine par exemple, pour que l’équilibre soit rompu, comme ce fut le cas pour le crabe Staline importé en mer Baltique où il n’avait jamais mis les pinces. Faute de prédateur, il s’est mis à proliférer et à ravager les fonds marins.
L’homme n’a lui non plus pas de prédateur. L’impact des tigres et des requins est minime, et contrairement à certaines croyances, nous ne figurons pas à la panoplie de leurs espèces-cibles. Les microbes semblent plus dangereux, au vu du nombre de morts dues à la peste noire, à la grippe espagnole et autres épidémies qui ont marqué notre histoire. Si les mesures sécuritaires et sanitaires permettent d’éviter ces fléaux, il semble inévitable que l’espèce humaine prolifère et épuise les ressources de la biosphère.
Il manque pourtant un élément essentiel à ce raisonnement. Les analogies conduisent souvent à des simplifications abusives. L’être humain n’est pas un animal comme les autres. Son intelligence lui permet de porter des préjudices particulièrement graves à l’environnement, en se multipliant excessivement et grâce à des moyens technologiques qui n’ont jamais existé. Seulement voilà : la même intelligence peut aussi le porter à préserver son environnement, grâce à une conscience des conséquences de ses actes elle aussi nouvelle dans l’histoire du vivant.
La vraie question est donc celle-ci : pourquoi l’homme fait-il usage de son intelligence pour développer une multitude d’artéfacts visant à lui rendre la vie plus agréable et plus sûre, et n’en fait-il pas usage pour contrôler ses comportements dès lors qu’ils portent préjudice au milieu dont il sait pourtant dépendre ? Cela peut faire penser à cette parole de la Genèse : l’Éternel lui confia la garde du Jardin d’Eden… Fut-ce une erreur fatale du Bon Dieu… ou l’homme a-t-il trahi le pacte originel pour une raison quelconque ?
Tout se passe comme si l’avidité et l’égoïsme avaient pris une place démesurée, induisant une occultation systématique des conséquences à long terme des conduites apparemment avantageuses. Nous sommes fascinées par les buts que nous poursuivons, par l’aspect ludique de nos inventions, par l’idée d’être en avance sur les autres. En témoigne la croissance devenue synonyme de survie économique…
Plutôt que de se désoler de cette situation sans issue, notre devoir est de nous demander si l’avidité, l’égoïsme et autres traits de comportement n’ont pas subi des déformations pour des raisons bien précises, qui n’attendent que d’être élucidées. Nous saurions alors mieux sur quels registres jouer pour enrayer l’évolution qui nous emporte irrésistiblement vers le chaos planétaire…