Extrapolation
L’extrapolation se définit en mathématiques comme la prévision de la valeur d’une fonction en supposant qu’elle continue à varier comme elle a varié précédemment.
Si vous savez pas exemple que le niveau d’une nappe phréatique baisse d’un mètre chaque année, vous pouvez extrapoler cette variation et vous dire qu’elle aura baissé d’un mètre de plus une année plus tard. Ça ne marche malheureusement pas toujours : si un sécheresse ou des pluies inhabituelles se produisent entre-temps, ou que de nouveaux forages l’épuisent plus rapidement, ou encore si elle est complètement épuisée (là, elle ne baissera plus) etc. L’extrapolation n’est valable que toutes choses restant égales par ailleurs. Sinon, elle peut amener à commettre de lourdes erreurs.
La tendance à extrapoler tient au fonctionnement de notre esprit et à une certaine forme de paresse : elle nous évite de penser à des facteurs susceptibles de compliquer une situation ou d’amener des surprises dans son évolution. Nous projetons constamment sur la réalité des fonctions linéaires. Lorsque nous voyons le cours de la bourse augmenter régulièrement plusieurs jours de suite, notre première réaction est de penser qu’il va encore monter le lendemain. L’expérience montre qu’on perd beaucoup d’argent en raisonnant de cette manière.
Or, c’est cette même tendance qui donnait le sentiment que la pêche intensive, par exemple, pourrait se poursuivre indéfiniment, du fait que l’on pêche depuis des millénaires et que l’océan était toujours aussi poissonneux. Ou que les pesticides ne pouvaient causer de dommages significatifs vu que rien de désagréable ne se produisait dans les premières années d’utilisation. Ou que la pollution n’allait jamais gagner les océans du fait qu’on n’avait rien mesuré de particulier pendant bien longtemps.
La linéarisation se retrouve intrinsèquement liée à la notion de croissance : sans croissance, notre économie s’effondre. Pourtant, la croissance infinie est impossible pour toutes sortes de raisons, notamment la finitude de notre planète. En d’autres termes, une économie qui ne tient que par la croissance est vouée à l’effondrement écologique à plus ou moins long terme. Mais nous continuons, politiciens en tête, à tabler sur la croissance pour éviter les crises économiques sans un instant reconnaître qu’elle ne sera pas toujours possible, et l’on ne fait aucun effort sérieux pour changer le système économique…
La tendance à l’extrapolation est à la base même de cette contradiction. L’illusion que la planète serait inépuisable découle directement de ce simplisme intellectuel : nous extrapolons les situations actuelles en les projetant sur l’avenir, surtout lorsque cela arrange nos affaires. Il y a encore des réserves de méthane, donc on peut continuer à faire tourner des moteurs. Et l’on oublie le réchauffement climatique. Il reste encore des abeilles, donc on continue de mettre sur le marché des insecticides hautement nocifs.
L’extrapolation est au centre de l’impasse écologique, en ce qu’elle nous a poussés à minimiser les dangers jusqu’à ce qu’ils menacent directement notre confort ou notre survie. Encore aujourd’hui, c’est elle qui s’oppose à la prise de conscience écologique et risque de nous faire dépasser le point de non retour : puisque ce qu’on a fait a bien marché jusqu’à ce jour, continuons à faire comme on a toujours fait…
Notons qu’on retrouve aussi l’extrapolation dans le pessimisme écologique. La démographie augmente de 4 % par année en moyenne dans le monde, donc nous serons 20 milliards dans 25 ans et l’apocalypse est pour la 26ème année… Ces positions extrêmes nuisent elles aussi à l’écologie en suscitant des réactions critiques ou des incrédulités plus ou moins justifiées, qui tendent, par effet boomerang, à minimiser les problèmes.
Il n’est pas facile de se faire une vision pertinente et objective d’une situation de danger et de son évolution possible. L’évaluation pondérée des dangers réels, sans emballements inutiles, et sans occultations non plus, est pourtant indispensable si l’on veut qu’une prise de conscience générale se produise.
La question que pose l’écogénétique humaine est alors celle-ci : cette tendance à l’extrapolation, c’est-à-dire au remplacement des évolutions complexes des situations réelles par des projections linéaires simplistes, appartient-elle au fonctionnement naturel du psychisme humain ? Ne relèverait-elle pas de certains dysfonctionnements psychiques qui restent à décrypter ?
L’extrapolation linéaire est en soi une fonction cérébrale utile, mais certains troubles psychoaffectifs pourraient dévoyer l’usage que nous en faisons, par exemple lorsque nous refusons de voir en face un avenir sombre, ou tentons de l’assombrir exagérément pour influencer des tiers, etc. Il y a là tout un champ de recherches qui n’a jamais été abordé jusqu’à ce jour sous l’égide de l’écologie, mais qui ne doit en aucun cas être sous-estimé, vu qu’il pourrait avoir pour enjeu l’avenir de la planète…