La mode des mises en nourrice

Confier leur nourrisson à une nourrice était déjà pour les mères de l’Antiquité un moyen d’échapper aux charges de l’allaitement. Au Moyen-âge, toutefois, l’allaitement au sein maternel était la règle. Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que la mode prit un nouvel essor. Elle progressa pour culminer au XIXe siècle et prolonger indirectement ses effets au XXe avec les laits maternisés : nombreux étaient les médecins qui recommandaient aux jeunes mamans de donner le biberon, réputé plus sain que le sein grâce à de meilleures conditions d’hygiène.

Il y a quelques siècles, les notions d’hygiène et de diététique étaient rudimentaires. De nombreux nourrissons mouraient en nourrice, jusqu’à 70 %. Le fait que la croissance démographique accélère autour de 1700 laisse penser à une multiplication des naissances d’autant plus importante.

La question doit toutefois être étudiée de plus près, car les mères qui n’allaitent pas sont par nature plus fécondes que les mères allaitantes. La stimulation du sein et des glandes mammaires libère en effet certaines hormones qui inhibent l’ovulation. Les fécondations devaient être de ce fait plus fréquentes en absence d’allaitement.

La différence ne portait toutefois que sur la période d’environ un an après chaque naissance, l’ovulation reprenant ensuite en dépit de l’allaitement. L’influence de ce facteur ne portait donc que sur les enfants qui se seraient suivis à moins de deux ans de distance. Par ailleurs, chaque mère donnant son enfant à allaiter amenait la nourrice à prolonger sa lactation, donc à prolonger chez elle l’inhibition de l’ovulation. Les naissances gagnées d’un côté étaient perdues de l’autre.

Il faut examiner dans quelle mesure le bilan des interactions entre ces facteurs aurait pu favoriser le taux de fécondité. Si l’augmentation de la mortalité infantile due à la mise en nourrice est prédominante, nous aurons un argument de plus en faveur d’une activité coïtale plus importante dès l’aube du siècle des Lumières.

Restera alors à décrypter les raisons de cette activation, qui initia l’explosion démographique dont la planète risque aujourd’hui d’être victime. Ces raisons sont très probablement restées sous-jacentes aux autres facteurs invoqués, tels le progrès médical, agricole et industriel.

Une fois le phénomène décrypté, nous serons d’autant mieux parés pour aborder le problème crucial d’une réduction chaque jour plus urgente de la population mondiale…