Nos inventions et modifications comportementales
Chaque nouvelle invention peut engendrer une modification comportementale à grande échelle, et chacune de ces modifications peut engendrer de nouvelles inventions. C’est ainsi que chemine le progrès, suivant une cascade effrénée d’artéfacts et de modifications des us et coutumes. Il est convenu de s’en réjouir. C’est grâce à lui que notre vie d’aujourd’hui est plus facile et plus intéressante, et que la croissance parvient à garantir notre sécurité et notre niveau de vie.
On peut toutefois se demander jusqu’où ira cette course au bonheur. Une rivière qui descend en cascades, suivant la ligne de moindre résistance comme semble le faire l’humanité depuis bien longtemps, se termine toujours dans un bassin de réception, à la limite l’océan. Et elle ne peut pas aller plus loin. Elle s’y perd.
La première alarme qui ait retenti pour nous faire repenser cette forme de progrès est celle de la pollution et de la destruction du milieu naturel. Il semble que le bassin de réception s’approche à grand pas et que nous risquons l’immersion totale. Il ne s’agira malheureusement pas de l’océan et de ses grandes étendues bleues, mais d’un océan pollué aux rives massacrées par le fuel, pétillant de méthane aggravant à son tour le réchauffement climatique. Le tableau n’a rien de poétique.
Pour quelle raison l’humanité a-t-elle suivi cette voie? Pour quelle raison, de tous horizons politiques, n’a-t-on vu dans le progrès qu’une ascension incontournable vers le bonheur, au point de négliger ses effets pervers sur un biotope en chute libre ?
La question numéro un est celle de l’importance que nous prêtons à l’innovation, dans l’idée de vivre demain mieux qu’hier, et du peu de considération que nous consacrons aux problèmes d’environnement dès que nos intérêts sont en jeu.
D’abord : qu’appelons-nous « vivre mieux » ? Les critères que nous appliquons sont foncièrement matérialistes. Vivre mieux, c’est avoir un plus bel appartement, de plus beaux habits, un plus bel électroménager, une alimentation plus plaisante, une plus belle voiture, et malgré tout un compte en banque mieux garni. La place pour le spirituel est bien mince dans cette façon de voir l’existence. N’y aurait-il pas là une certain glissement, dû par exemple à une déception face à la spiritualité telle qu’elle nous est vendue par les différentes religions ? Une frustration profonde qui nous pousse à compenser par l’extérieur ce qui nous manque à l’intérieur ?
La frustration pourrait aussi être amoureuse ou sexuelle. Sommes-nous sûrs que notre manière de vivre l’amour réponde à nos aspirations profondes ? Notre manière de pratiquer une sexualité orientée a priori vers le plaisir correspond-elle à nos pulsions naturelles ? L’existence même de la névrose endémique, que l’on sait induite par les refoulements sexuels, pourrait nous mettre la puce à l’oreille sachant de plus que cette névrose conduit précisément à investir des fausses attentes dans toutes sortes de substituts.
Le problème de l’alimentation ne doit pas être négligé : l’épidémie de boulimie et d’obésité qui s’est installée depuis le retour à l’abondance, après la dernière guerre, ne dénoterait-elle pas certaines erreurs que nous aurait léguées la tradition ? Les cultures céréalières, corollaires de notre attirance pour les farineux, ont un lourd impact écologique. Repenser notre alimentation pourrait jouer un rôle majeur dans la réduction des pollutions et dégradations d’origine agricole, tout comme dans la réduction de l’obésité et autres maladies dites de civilisation.
C’est ce type de question qu’il faut se poser très sérieusement si l’on veut comprendre les ressorts d’un progrès contradictoire, qui promet de nous mener à notre perte si nous lui laissons suivre son cours…